Témoignage de  Mr André BARILARI

                      Inspecteur Général des Finances

Directeur Général des Impôts
du 24 juillet 1995 au 17 décembre 1997

 

EXTRAIT DE L'INTRODUCTION DE L'OUVRAGE 
" LE CONSENTEMENT A L'IMPÔT" 
Bibliothèque du Citoyen
Presses de la
Fondation Nationale des Sciences Politiques


"Il existe une alchimie dont l'impôt est la pierre philosophale ou l'anathor, permettant de transformer l'individuel en collectif, I'homme en citoyen. Rechercher le consentement c'est de faire comprendre que l'un n'existe pas sans l'autre. Sans impôt pas d'Etat, sans Etat pas de règles et sans règles pas de société. Ou plutôt, c'est la règle du plus fort, le règne absolu des coquins et des malins, I'organisation maffieuse de la société. Sans démocratie, pas de règles légitimes et pas de consentement à l'impôt, donc Etat fragile, inapte à la compétition mondiale, lié à la personne des dirigeants, soumis à la crise, aux révoltes, aux répressions et à la révolution. L'Etat fort est l'Etat démocratique et l'Etat démocratique est celui qui a besoin d'impôts librement consentis par les citoyens.

L'impôt c'est à la fois le cauchemar et le rêve du citoyen. Et c'est cette double et paradoxale qualité qui rend le consentement indispensable. Une anecdote, que j'ai souvent utilisée lorsque j'étais en charge de responsabilités dans l'administration fiscale, permet de concrétiser ce propos.

L'un de mes amis, inspecteur des impôts, prend habituellement un café, vers huit heures avant de rentrer dans son bureau. Le patron du bistrot connaît sa profession. Un matin, le brave homme l'accueille avec un sourire plus large que d'habitude.

- J'ai fais un rêve très agréable, déclare t‑il tout en posant la tasse sur le comptoir.  
- Et de quoi donc avez-vous rêvé ?  
- Que les impôts étaient supprimés!  
L'inspecteur sourit gentiment, il a l'habitude de ce genre de plaisanteries. Il avale la dernière gorgée de son café et lance :  
- alors je vais devoir me reconvertir!

Le lendemain, le même patron a mauvaise mine, il paraît éprouvé par sa nuit.

- Que vous est-il arrivé ?  
- Cette nuit, j'ai fait un cauchemar.  
- Ah, je vois, les impôts étaient rétablis ?  
- Non, ils étaient toujours supprimés, mais alors, tout allait très mal. Mes enfants ne pouvaient partir en classe car le gouvernement avait fermé les écoles faute d'argent, les rues étaient défoncées et personne ne les réparait, des voyous sont venus saccager mon bistrot et le commissariat ne répondait plus car les policiers avaient été licenciés, des incendies embrasaient des quartiers entiers et personne ne venait les éteindre...

Un vrai cauchemar effectivement !

- Rassurez vous, ajoute l'inspecteur, je vais de ce pas rejoindre mon bureau et, comme chaque jour faire appliquer la loi fiscale.

Depuis ce jour là, le patron salue l'inspecteur avec une chaleur particulière dans la voix.

La question du consentement à l'impôt s'est toujours posée comme une aporie, les tentatives de résolution qui se sont succédées au cours de l'histoire, ne l'ont jamais réglée de manière satisfaisante. Les différentes formes de résistance à l'impôt sont toujours vivaces, même si elles ont changé de caractéristiques et si leur dosage a varié. Malgré l'évolution fondamentale qui a conduit les monarques, dans leur recherche du consentement des peuples à l'impôt, à devoir peu à peu abandonner leur souveraineté au profit des parlements, I'impôt garde la trace du tribut.

Une nouvelle étape est maintenant nécessaire afin d'adapter les moyens du consentement au contexte d'une société de libertés individuelles multipliées, de communication et de considération, dans laquelle on doit surtout convaincre. 

Mais, réconcilier à tout jamais le citoyen et l'impôt n'est possible qu'au royaume d'utopie, I'objectif dans ce domaine ne peut qu'être plus modeste : trouver, dans un cadre social déterminé, le moins mauvais équilibre entre les aspirations individuelles et les nécessites collectives".

© André BARILARI  -  9 août  2000

 

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