La contestation du monopole

Les prérogatives des membres de l'ordre ont placé au fil des ans la comptabilité hors de la portée des petites entreprises notamment commerciales et artisanales. Les raisons en sont diverses. Parmi les principales, on peut citer la disproportion entre le tissu des entreprises françaises composé d'un nombre très important de petites entités économiques, la plupart d'entre elles étant des entreprises de subsistance, ne disposant pas des moyens financiers pour recourir à des conseils indépendants. Au surplus, le souci de renforcer la qualité des prestations comptables a entraîné en 1968 l'arrêt du recrutement des comptables agréés, opérateurs privilégiés de la petite entreprise et en 1981, le relèvement du niveau du diplôme d'expertise comptable. 

Le prix de la prestation est également un facteur important. Selon une enquête d'opinion de la SOFRES auprès des utilisateurs publiée en mars 1983 dans la revue SIC, 72 % des PME/PMI et grandes entreprises et 78 % des artisans et commerçants interrogés estiment que la profession d'expert comptable "est une profession dont les services sont très onéreux". Ce constat n'est pas contesté par l'enquête menée par la profession pour son congrès de 1992 aux termes de laquelle ses membres considèrent le prix comme un critère déterminant de compétitivité dans le futur pour la tenue, la surveillance et les prestations connexes.

La mentalité française doit également être prise en compte parmi les facteurs qui ont poussé l'entrepreneur individuel à conserver un certaine discrétion sur ses affaires. La réglementation des prix et des marges qui a prévalu jusque dans les années 1970, comme les régimes fiscaux forfaitaires, ont leur part dans cette mise à l'écart de la profession comptable. Enfin, on ne doit pas sous-estimer le rôle des corporations professionnelles organisées bien avant la profession comptable (la première chambre de commerce a été créée par le Conseil de la ville de Marseille en 1599. Les commerçants ont accueilli les industriels en 1761 lors de la création de la chambre d'Amiens et le statut actuel des chambres de commerce et d'industrie date du 9 avril 1898. Les chambres de métiers ont été instituées par la loi Courtier du 26 juillet 1925 alors que les chambres d'agriculture ont été institutionnalisées par une loi du 3 janvier 1924).

Sous la pression des métiers, les pouvoirs publics ont essayé d'organiser une évolution au début des années 1970 en réformant les régimes fiscaux d'imposition en même temps qu'ils suscitaient la création de "centres de conseils fiscaux" pour traiter la comptabilité des commerçants et artisans . Dans une note technique du 28 avril 1971, la direction de l'artisanat, encourageait chaque président de chambre de métiers à créer un centre de gestion qui " ne saurait être en aucune manière un organisme chargé simplement de tenir des comptabilités. Son rôle est beaucoup plus important : il est de permettre à l'artisan de posséder des indications régulières sur la marche de son entreprises, grâce à l'exploitation rationnelle des documents financiers." La note incitait à l'existence juridique autonome des centres car "les attributions des chambres des métiers, établissements publics, (sont) non pas d'apporter une assistance comptable à ... leurs ressortissants mais d'améliorer la rentabilité des entreprises en favorisant ... la création de services communs."

La régularisation législative de cette initiative a été présentée sans succès au parlement dans le projet de loi de finances pour 1973. Après un nouvel échec dans le cadre du projet de loi de finances pour 1975, le Gouvernement a enclenché le processus en faisant voter un amendement au projet de loi de finances rectificative pour 1974 (n° 74-1114 du 27 décembre 1974) créant les centres de gestion agréés. 

Le but recherché : création de centres comptables conventionnés n'a pas été atteint. Les commerçants et les artisans doivent alors faire traiter leurs comptes par un expert comptable s'ils veulent bénéficier des services du centre de gestion. 

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