Les centres de Gestion

Le système fiscal français est en mutation dans les années qui suivent la fin de la deuxième guerre mondiale.

Il se complexifie et se diversifie pour appréhender les grandes catégories de matière imposable (revenu, dépense, capital). La fiscalité d'Etat subit des modifications structurelles importantes et les prélèvements obligatoires (impôts et taxes liés à la production, impôts sur les revenus et le patrimoine, impôt en capital, cotisations sociales) augmentent de manière régulière.

Ainsi, au cours de la période 1949/1959, le taux global des prélèvements obligatoires passe de 28,6 % de la production intérieure brute à 36,2 %. Mesuré par rapport au produit intérieur brut, le taux de 32,5% en 1960 passe à 35,6 en 1970. Les prévisions le portent à 44,4 pour 1994. Mais l'analyse de la structure des prélèvements sur la période 1945/1990 montre que la fiscalité d'Etat a faiblement progressé alors que les cotisations sociales se sont fortement accrues.

Entre 1948 et 1970, l'administration fiscale cherche son organisation. Une loi du 6 janvier 1948 institue le casier fiscal unique et le 16 avril un décret prévoit la création de trois administrations distinctes : la Direction générale des impôts, la Direction générale des douanes et droits indirects et le Service des domaines.

Dans les faits ces créations ne sont pas menées à leur terme par suite d'un événement qui marque la période 1950/1960 : la création des brigades polyvalentes. L'objectif du fisc était d'éviter la multiplicité des contrôles dans une même entreprise, de réduire leur coût (tant pour l'administration que pour le contribuable) et d'en accroître l'efficacité. La méthode de travail de ces brigades mises en place progressivement, d'abord dans le département de la Seine, a consisté dans un premier temps au contrôle unique et simultané d'une même entreprise par un agent de chaque régie. Dans l'attente de la mise en place d'une formation polyvalente des agents, de la réorganisation des services de base et de l'harmonisation des procédures, des brigades bivalentes (contributions Directes et Enregistrement) sont mises sur pied en province.

L'efficacité de ces nouvelles méthodes de travail fut remarquable au point qu'elles posèrent problème. Les petites et moyennes entreprises se trouvèrent subitement confrontées à des vérifications complètes et rigoureuses. Leurs réactions furent extrêmement brutales et en 1953, Pierre POUJADE , libraire à Saint-Céré (Lot), organisa la résistance aux nouvelles méthodes de contrôle. (En France, la fiscalité a souvent été un motif de contestations : cf. la révolte des CROQUANTS au XVIIème siècle, les cahiers de doléances de la Révolution de 1789, les révoltes antifiscales de la deuxième République. Dans les années récentes, la pression des cotisations sociales a quelque peu attisé la contestation. Ces prélèvements ont été fortement contestés par les petits commerçants et les artisans regroupés dans les années 50 au sein de l' UDCA de Pierre Poujade puis dans les années 1960 autour du CID UNATI de Gérard NICOUD). Des agents du fisc furent molestés, enlevés, leurs habitations plastiquées, des directions départementales mises à sac. A l'occasion des élections législatives de 1958, le mouvement de Pierre Poujade obtint 11,5 % des suffrages exprimés et 53 députés.

Le système fiscal français comporte une différence de traitement entre salariés et non-salariés. Selon l'article 7 de la loi n° 59-1472 du 28 décembre 1959, "les traitements publics et privés, les indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères ne sont compris dans la base de l'impôt sur le revenu des personnes physiques que pour 80% de leur montant net". En outre, à cette époque, une taxe complémentaire frappe les revenus de certains non salariés alors qu'une réduction d'impôt de 5% est accordée aux salariés.

Dès les années 1960, pour atténuer les différences, les pouvoirs publics ont progressivement supprimé ces surtaxes et intégré la réduction au barème général, c'est à dire au bénéfice de tous. Parallèlement, des progrès étaient accomplis dans la connaissance des revenus. Ainsi, la généralisation de l'affiliation des citoyens aux différents régimes sociaux, obligatoires ou volontaires, a contribué à une plus grande clarté des revenus des professionnels de santé.

La non revalorisation des régimes forfaitaires dans la période de forte inflation des années 1970 et le développement des règles et des obligations comptables ont également permis des avancées vers la transparence fiscale. Le développement de l'usage du chèque, le renforcement des obligations des établissements bancaires et la percée de la monétique sous tendent cette évolution. Paradoxalement, les contraintes de la crise économique récente ont participé à une meilleure connaissance des revenus. Les chefs d'entreprises sérieux ont en effet parfaitement saisi toute l'importance de l'amélioration de la gestion comme gage de survie économique. Enfin, on perçoit chez les jeunes générations une évolution des mentalités à l'égard de l'impôt. Est-ce à dire que les moins jeunes avaient moins de sens civique ? Le problème ne paraît pas devoir être posé en ces termes. Mieux vaut l'examiner comme engendré par la méconnaissance de règles comptables et fiscales complexes, par la lourdeur relative de l'impôt sur le revenu des non salariés et par la distance existant entre l'administration fiscale et le citoyen.

Au début des années 1970, les conditions paraissent favorables pour instaurer par une approche pédagogique une solution pour tendre au rapprochement des conditions d'imposition des non salariés de celles des salariés.

Les entreprises dont le chiffre d'affaires annuel est inférieur à 500 000 F. (ventes) ou 150 000 F (prestations de services), sont soumises à l'impôt selon un régime forfaitaire. Un contrôleur des impôts détermine pour deux ans le bénéfice et un autre le chiffre d'affaires au vu d'informations comptables simples fournies par l'entreprise et relatives à la seule première année de la période. Les bases des impositions sont proposées à l'entrepreneur et, après discussion, arrêtées de manière contractuelle. (La loi de finances pour 1999 supprime le régime du forfait).

Le forfait comporte beaucoup d'impropriétés :

* le système est dépourvu de nuances. Dans les années 1960, au delà des limites de chiffre d'affaires retenues, les entreprises individuelles sont soumises aux mêmes obligations que les grandes firmes. En deçà, les obligations fiscales, qui prennent le pas sur les obligations comptables, sont très peu contraignantes et les contrôles n'existent pratiquement pas. L'équité entre les citoyens est donc en question ;

* les besoins de gestion commencent à se faire pressants et l'entreprise française vulnérable aux aléas de la conjoncture par sa taille modeste, ne trouve pas dans son environnement professionnel et comptable les compétences indispensables dans la fonction financière et le conseil de gestion ;

* la "société de consommation" fait fureur, les techniques de commercialisation balbutient et la législation sociale se renforce et se complique ;

* l'administration fiscale a conscience que ses services qui fixent les forfaits se consacrent en majeure partie aux affaires sans rendement fiscal. Elle subit en retour de plein fouet les contestations qui naissent du lien qui existe entre le bénéfice fiscal, faible au demeurant, et les cotisations sociales insuffisamment nuancées.

L'alternative est donc claire pour les pouvoirs publics : tolérer la dégradation de l'assiette fiscale et donc se priver des moyens d'une politique qui se veut moderne ou exposer l'autorité de l'Etat aux conséquences des affrontements des commerçants et artisans avec le fisc.

Une solution aurait pu consister à réduire le champ d'application du forfait. La voie retenue est beaucoup plus originale. (Il faut attendre la loi de finances pour 1999 pour voir disparaître le régime du forfait).

En 1973, la loi d'orientation du commerce et de l'artisanat lie le rapprochement de la taxation des non salariés et des salariés à une amélioration de la connaissance des revenus des non-salariés. C'est en fonction de ce principe de transparence que la loi de finances rectificative pour 1974 prévoit la constitution de centres de gestion agréés (C.G.A.). Certes, la création, par les métiers, de ces associations régies par la loi du 1er juillet 1901 s'inscrit d'abord dans une dimension de prévention économique et d'obligations comptables ; mais elle résulte principalement d'une volonté à dominante fiscale. Les premiers centres ont vu le jour en 1976. Ils s'adressent aux artisans, commerçants et industriels. Les agriculteurs peuvent également y adhérer ou devenir membres de centres qui leur sont réservés. Pour les partenaires agricoles, ce n'est qu'une demi nouveauté. En effet, les nécessités de la gestion sont apparues très tôt dans le milieu agricole et les premiers centres de gestion ont été créés bien avant 1974. Cette année là, ils reçoivent en prime l'agrément fiscal.

La loi de finances pour 1977 a porté institution, sur un modèle voisin, d'associations agréées (A.A.) qui s'adressent aux membres des professions libérales et assimilées et dont l'objet est de développer l'usage de la comptabilité et de faciliter l'accomplissement des obligations administratives et fiscales de leurs membres.

Dans les deux cas, les groupements agréés exercent une mission d'assistance à la gestion et à la tenue de la comptabilité. Ils devront exercer une mission de prévention économique et fiscale à l'égard de leurs adhérents. Pour leur part, ceux-ci doivent prendre un certain nombre d'engagements, notamment de sincérité. En cas de non-respect, des sanctions pouvant aller jusqu'à l'exclusion sont prononcées par l'organisme agréé. Le respect de ces engagements constitue la contrepartie d'allégements fiscaux dont la nature et le montant tendent à rapprocher les conditions d'imposition des salariés et des non salariés.

L'objectif de ces pages (de l'ouvrage) est de contribuer à faire connaître cette institution au delà du cercle des initiés. Elles montrent le contexte dans lequel sont nés et se sont développés les organismes agréés. Elles décrivent les règles qui président à leur création et à leur agrément. Elles présentent le rôle et les obligations des différents partenaires marquant le caractère contractuel et pédagogique de l'institution. Elles expliquent les modalités de leur habilitation à tenir les comptabilités. Elles examinent ensuite les allégements fiscaux attachés à l'adhésion et le régime fiscal des organismes. Elles analysent le bilan de quinze années d'existence et tracent enfin quelques perspectives pour une évolution intégrant la nouvelle donne du grand marché européen


L'ouvrage