Origine de l'IR
Création
Opposition
Parti favorable 


L'assemblée Nationale


Les origines de l'impôt sur le revenu

Avant la création de la taille, impôt de répartition, le principe d'un impôt de quotité frappant les revenus de l'ensemble des sujets du royaume avait été retenu.

L'impôt du vingtième et la dîme saladine furent ainsi levés au XII ème siècle, comme l'impôt du centième et du cinquantième au XIII ème. Ces impôts étaient techniquement très en avance sur leur temps. Ils exigeaient en effet une déclaration des contribuables (dîme saladine, cinquantième) et leur taux était fixé d'avance (impôt de quotité), progressif, même, dans le cas de l'impôt du cinquantième. Le pouvoir royal ne trouva malheureusement aucune administration apte à gérer de tels impôts.

Plus tard, au XVIII ème siècle, des besoins financiers accrus, les défauts de la taille, conduisirent la Monarchie à tenter d'instituer des impôts universels sur les revenus et de réaliser quelques innovations techniques.

Dans son ouvrage, paru en 1701, Vauban préconise l'instauration d'une dîme royale, payable par tous.

En 1710, le contrôleur général des finances, Desmaretz, s'inspirant de la taille réelle, crée, pendant la guerre de succession d'Espagne, le dixième, qui deviendra l'impôt des vingtièmes en 1749. Impôt de quotité, le dixième cherche à frapper les revenus des propriétés déclarées. Pour la première fois apparut alors, de façon expérimentale, la déclaration des revenus.

Cette innovation fut étendue à la taille personnelle par le Duc de Noailles en 1716, sous la Régence. Il s'agissait d'assurer la proportionnalité de la charge fiscale aux facultés du taillable en établissant des règles clairement définies.

Visant à établir plus d'équité entre les taillables des pays d'élections, la réforme du Duc de Noailles prévoyait une déclaration de revenus, reçue par les collecteurs chargés, en présence de commissaires nommés par l'intendant, de l'établissement des rôles. L'administration monarchique entendait ainsi disposer de documents écrits pour contrôler la répartition de l'impôt qu'elle ne souhaitait plus confier seulement à des collecteurs élus par leurs concitoyens.

La déclaration de revenus se généralise ensuite peu à peu jusqu'en 1789 avec plus ou moins de fortune selon la personnalité des intendants qui s'emploient à la promouvoir. Ces derniers pouvaient, à l'aide des déclarations de revenus, pratiquer une politique fiscale active, plus juste, en allégeant l'activité agricole (le physiocrate Bertin) ou l'activité industrielle et commerciale (Necker), en essayant d'exonérer les familles nombreuses et les veuves, d'ouvrir des déductions de charges pour n'imposer que le revenu net, de pratiquer la progressivité.

Les nouvelles techniques fiscales rencontrèrent l'opposition des cours souveraines, au premier rang desquelles les cours des Aides, qui y voyaient l'extension de l'absolutisme royal. Les cours préféraient le maintien d'une administration fiscale décentralisée, contrôlée par les magistrats et respectueuse des privilèges locaux conçus comme des libertés.

Alliés au cours souveraines dans leur résistance au développement et au perfectionnement de l'impôt, les contribuables taillables supportaient de moins en moins un système qui restait inégalitaire dans son principe. Plus la taille se perfectionnait et devenait équitable pour ceux-là seuls qui la payaient, plus elle leur paraissait inacceptable. Ce sentiment, qui s'exprime dans les Cahiers de doléances de 1789, devait conduire à la suppression de la fiscalité personnelle de l'Ancien Régime au profit d'une fiscalité réelle ignorant les individus.

Néanmoins, certains contribuables à l'esprit novateur avaient parfois conscience de l'utilité que pouvait représenter une déclaration de revenus afin de rendre l'impôt plus juste. Ne voit-on pas, par exemple, une petite paroisse des environs de Château-Thierry, Saulchery, répondre à un questionnaire répandu dans l'élection (1788) en ces termes : "Le meilleur moyen de répartition de l'impôt consisterait à obliger chaque particulier à faire une déclaration exacte de tout ce qu'il possède, faire une masse de tout et répartir la masse des impositions proportionnellement" ?

Les techniques de l'impôt personnel sur le revenu imaginées sous la Monarchie pourront plus tard être utiles à la justice républicaine lorsque réapparaîtra, en 1914, sous une forme plus universelle, l'impôt sur le revenu, impôt de solidarité entre les citoyens et non plus impôt inégalitaire comme au XVIII ème siècle. Entre temps, la Révolution aura élaboré le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi, et l'impôt.


La création de l'Impôt sur le revenu en France

A partir de 1848, des impôts directs sur le revenu sont institués ou proposés dans différents pays.

En France, sous la II ème République, le Ministre des Finances Garnier-Pagès parle d'instaurer un impôt sur le revenu "proportionnellement progressif".

L'instauration du suffrage universel et les aspirations démocratiques du plus grand nombre vont conduire à rechercher davantage de justice fiscale alors que l'état de l'évolution financière, économique et sociale conduit à une remise en cause du système d'imposition.

Après 1870, le paiement des indemnités de guerre, l'augmentation des dépenses provoquées par la guerre et la Commune, accroissent les charges de l'Etat. Il faut trouver d'autres ressources et certains députés républicains pensent que c'est le moment opportun pour créer un impôt général sur le revenu tel que le proposait Gambetta. Thiers s'oppose énergiquement à ce projet "d'atroce impôt sur le revenu". On préfère dans ce cas augmenter les taxes existantes puis établir, en 1872, un impôt sur le revenu des valeurs mobilières. Cet impôt, retenu à la source, qui n'atteint pas, en particulier, les rentes sur l'Etat et les fonds publics étrangers, est ajouté aux "quatre vieilles" pour former un système d'impôts dont l'avantage principal est d'éviter le plus possible les contacts entre les contribuables et le fisc.

Les quatre vieilles constituées d'un ensemble de taxes indiciaires commodes à asseoir et peu gênantes pour le contribuable puisque ne comportant ni déclaration ni inquisition, sont éloignées de la réalité des revenus. Elles demandent, pour être augmentées, une révision d'assiette. A titre d'exemple, on détermine, en 1887, que par rapport au revenu réel, les pourcentages des prélèvements peuvent varier de 0,15 à 42 % pour l'impôt foncier et de 1,6 à 37 % en ce qui concerne la contribution mobilière. Les inégalités sont très grandes. Aussi, il est difficile d'éviter à l'Etat de revoir son système fiscal.

La taxation des revenus mobiliers ouvre la voie à plus de 200 propositions, entre 1871 et 1909, visant à l'instauration d'un impôt sur le revenu. En 1876, Gambetta propose l'institution d'un impôt proportionnel sur les revenus. Le ministre des finances Peytral dépose ensuite en 1889 un projet d'impôt sur le revenu, qui n'est pas discuté. A la suite des élections de 1893, favorables aux républicains progressistes, plusieurs initiatives parlementaires relatives à l'établissement de l'impôt sur le revenu voient le jour. Une commission extra-parlementaire chargée d'examiner le problème de l'imposition des revenus est également instituée qui conclut positivement sur les avantages sociaux des impôts sur le revenu, sans toutefois se prononcer sur leur établissement.

En 1896, un projet d'impôt général sur le revenu, le projet Doumer (Ministre des Finances), accepté par la Chambre, est retiré devant un vote hostile du Sénat.

De 1894 à 1898, tous les ministres des finances (sauf Poincaré) déposent leur projet d'impôt sur le revenu. Dans les luttes politiques du moment, l'opposition entre partisans et adversaires de l'impôt sur le revenu occupe la plus grande place.

Alors qu'il est ministre des finances du gouvernement du "bloc des gauches", Caillaux dépose en 1900 un projet de "réforme des contributions directes". Ce projet n'est pas adopté.

De nouveau ministre des finances sous le ministère de Clémenceau, en 1906, après la victoire des radicaux aux élections, Caillaux dépose dès 1907 un autre projet qui juxtapose un impôt cédulaire sur les revenus et un impôt sur le revenu global, de caractère progressif. Clémenceau souhaite en effet réaliser des réformes sociales et politiques, telles que la journée de huit heures de travail et l'impôt sur le revenu. Il parvient à arracher à la Chambre, en mars 1909, le vote qui créé l'impôt sur le revenu. La conjoncture était favorable : la montée des tensions internationales, à partir de 1900, le réarmement indispensable du pays rendaient nécessaires des ressources supplémentaires. Le Sénat mettra près de cinq ans pour se prononcer et proposer un texte sensiblement différent. Son opposition ne sera surmontée qu'en raison des menaces de guerre qui pèsent sur le budget en 1913 et grâce à l'intervention de Caillaux. Au printemps 1914, radicaux-socialistes et socialistes reconstituent un "bloc des gauches". Ils gagnent les élections. Leur programme est axé sur l'abolition de la Loi Barthou, qui a porté la durée du service militaire de deux à trois ans, et la création de l'impôt sur le revenu. Le Président de la République, Poincaré, appelle au gouvernement le socialiste indépendant Viviani. Ce dernier accepte de ne pas demander dans l'immédiat l'abrogation de la Loi de trois ans. En contrepartie, le Sénat adopte le 3 juillet l'impôt sur le revenu auquel il s'opposait depuis 1909.

A ce moment-là, il y a quatre jours que l'archiduc héritier d'Autriche a été assassiné à Sarajevo.

Le principe de l'impôt général sur le revenu 
est introduit dans la 
Loi de Finances du 15 juillet 1914.

 


Contre l'Impôt sur le revenu

Les opposants à l'impôt sur le revenu voient en lui une réincarnation de l'Ancien Régime. C'est le retour à l'inquisition fiscale de l'administration, "immoralité écrite en loi" selon Thiers.

D'après eux, le projet d'impôt sur le revenu s'oppose aux principes d'égalité et de liberté de l'individu qui garantissent son anonymat par rapport au fisc. Ce projet risque d'attribuer aux agents des impôts chargés de l'évaluation du revenu global des contribuables des pouvoirs comparables à ceux des commissaires aux tailles des intendants du XVIII ème siècle et d'entraîner un arbitraire dangereux.

Mais c'est surtout le principe de la progressivité de l'impôt qui est condamné parce que contraire à l'égalité des citoyens. La progressivité pénalise les riches, "épargne des millions de citoyens pour en accabler quelques milliers", (c'est ce que disait l'historien Marcel Marion à la fin du XIXème siècle). Elle est susceptible en cela de rétablir au bas de l'échelle sociale les privilèges supprimés en haut et de rompre ainsi avec l'esprit de 1789. En ce sens, une fiscalité réelle est préférée à la fiscalité personnelle puisqu'elle reflète imparfaitement les variations de revenu des contribuables et permet difficilement d'établir des tarifs progressifs.

Rétablissement à l'envers des privilèges, l'impôt progressif est encore, pour ses détracteurs, l'instrument de la révolution sociale, "instrument admirable de confiscation et de nivellement des fortunes" suivant Méline (Président du Conseil en 1896).

Enfin, l'impôt sur le revenu est néfaste pour l'économie, "aussi catastrophique que la révocation de l'Édit de Nantes" (selon l'économiste libéral Paul Leroy-Beaulieu). Surtaxant les riches, il stérilise le capital et arrête le moteur de l'économie au contraire d'une fiscalité fixe et non progressive encourageant l'épargne, stimulant l'esprit d'entreprise. C'est ce que pensent Max Boucard et Gaston Jèze auteurs des "Éléments de la science des finances" (1902) : "L'impôt général progressif n'est pas seulement injuste et sans fondement rationnel, il est arbitraire. Sur quelle base fixera-t-on la progression ? Et cette progression, où s'arrêtera-t-elle ? Si on n'établit pas une limite, l'impôt finira par absorber la totalité des revenus et entamera le capital, restreignant l'épargne et la production, et forçant les capitaux à se cacher ou fuir".


L'impôt sur le revenu : une revendication du parti radical

Cette revendication figurait déjà dans le programme "radical" exposé par Gambetta à Belleville en 1869. Elle est plus particulièrement reprise par les radicaux-socialistes favorables aussi à l'intervention de l'Etat dans les rapports entre le capital et le travail et à quelques nationalisations.

Soucieux de compenser les effets de la concentration croissante des moyens de production tout en respectant le régime de la propriété, les radicaux estiment que la pression sociale oblige à une réforme sous peine de révolution. Ils proposent de recourir à l'impôt personnel et progressif, mesure susceptible selon eux de désamorcer les tensions sociales sans modifier la structure de la société.

Les radicaux, qui souhaitent un minimum d'égalité, pensent que la réforme de l'impôt permet de résoudre les grandes questions sociales. Ils rejoignent en cela Jaurès recommandant à la Chambre, en 1894, un impôt personnel et progressif en ces termes : "Dans une société où celui qui ne possède pas a tant de peine pour se défendre, tandis au contraire que celui qui possède de grands capitaux voit sa puissance se multiplier non pas en proportion de ces grands capitaux mais en progression de ces capitaux, l'impôt progressif vient corriger une sorte de progression automatique et terrible de la puissance croissante des grands capitaux".


Fermer cette fenêtre